Les limites de vitesse ne sont pas là pour décorer le paysage. Alors que la France a longtemps semé ses routes de radars bien visibles, l’Italie emboîte le pas avec des dispositifs furtifs : perchés en haut des poteaux, équipés de capteurs infrarouges pour traquer discrètement, sans flash visible. Mais derrière cette chasse aux excès de vitesse se profile une polémique bien plus complexe qu’une simple question de sécurité routière. Dans la province d’Imperia, les autovelox – ces radars automatiques – sont au cœur d’un imbroglio juridique et administratif qui met en lumière des failles profondes dans la régulation de ces outils de contrôle. Entre problèmes d’homologation, annulations de contraventions et tensions transfrontalières, ce dossier affecte autant les automobilistes que les finances publiques, tout en soulevant des questions urgentes sur la clarté législative.
Une vague de radars dans la province d’Imperia
En septembre 2023, la province d’Imperia, en partenariat avec la société Safety 21, lance un projet visant à renforcer la sécurité routière sur des axes stratégiques. Comme le rapporte NosAlpes, deux nouveaux radars sont prévus sur la SS20, cette route qui relie le Col de Tende à Vintimille, avec des installations prévues près d’Olivetta San Michele, où la vitesse est limitée à 70 km/h. D’autres dispositifs doivent voir le jour dans plusieurs communes : à Taggia, Dolceacqua et Vallecrosia, mais aussi près de Pieve di Teco et Pontedassio, sur la route menant au Col de Nava vers le Piémont, ainsi que sur l’Aurelia Bis, dans la commune de Sanremo, en direction de Gênes. Selon la province d’Imperia, ces emplacements ont été choisis pour leur rôle clé dans la circulation locale et régionale.
Mais ce projet, présenté comme une avancée pour la sécurité, se heurte rapidement à des obstacles. Dès les premiers mois de 2024, des juges de paix à Borghetto Santo Spirito, Sanremo et Savona commencent à annuler des contraventions émises par ces radars. NosAlpes précise que les autorisations nécessaires à leur installation ont tardé à être délivrées, en grande partie à cause de complications liées à l’homologation des appareils. Ce cafouillage administratif marque le début d’une controverse qui ne cesse de s’amplifier.
Homologation ou approbation : une querelle aux lourdes conséquences
Au cœur du débat, une distinction technique qui a des répercussions majeures : les autovelox doivent-ils être homologués ou simplement approuvés ? En Italie, l’homologation est un processus strict qui certifie la fiabilité et la précision des appareils, tandis que l’approbation se limite à une autorisation administrative moins exigeante. Le 19 avril 2024, la Cour de cassation italienne tranche, comme le souligne Riviera24 : les contraventions issues de radars uniquement approuvés, et non homologués, sont invalides. Cette décision donne un espoir aux automobilistes, qui se lancent dans des centaines de recours.
Mais le ministère de l’Intérieur voit les choses autrement. Le 18 décembre 2024, il adresse une circulaire aux préfectures, s’appuyant sur un avis de l’Avvocature de l’État. Selon Riviera24, cette circulaire affirme que «l’homologation et l’approbation sont substantiellement identiques», une interprétation qui contredit frontalement la Cour de cassation. « Il s’agit d’une différence purement formelle », soutient le ministère, selon des extraits cités par le journal. Cette position sème la confusion, d’autant qu’aucun décret national ne fixe clairement les règles en la matière, laissant juges, avocats et citoyens dans une zone grise juridique.
Les automobilistes pris dans la tourmente
Pour les conducteurs de la province d’Imperia, cette bataille a des effets bien concrets. À Ventimiglia, l’avocat Marco Mazzola devient une figure centrale de la résistance. Comme le rapporte La Voce di Imperia, il obtient l’annulation de plus de 300 contraventions liées à l’autovelox de la fraction Porra, un appareil non homologué. «La commune a persisté à utiliser ce radar malgré les décisions de justice », déplore le juge dans son verdict, condamnant la municipalité à verser environ 6 000 euros de frais juridiques. Cette victoire galvanise d’autres automobilistes, qui multiplient les recours.
Mais la circulaire du ministère change la donne. En incitant les préfectures à défendre l’idée que l’approbation suffit, elle pourrait compliquer les contestations futures. « Si les juges suivent cette logique, les annulations deviendront rares », avertit Riviera24, citant des experts juridiques. Les conducteurs se retrouvent ainsi dans une position incertaine, entre espoirs de justice et risques de sanctions renforcées.
Un impact financier non négligeable
La controverse ne touche pas que les automobilistes : elle fragilise aussi les finances publiques. Selon La Stampa, relayé par NosAlpes, la province d’Imperia a engrangé 4 millions d’euros en 2023 et 2,3 millions en 2024 grâce aux contraventions routières. Mais les annulations massives menacent ces revenus. À Vintimille, par exemple, l’affaire de Porra représente un manque à gagner important, sans compter les frais déjà engagés pour la gestion des amendes et la location des radars. Comme le note La Voce di Imperia, certains élus locaux craignent même un recours à la Cour des comptes pour évaluer si l’utilisation de radars non homologués a causé un préjudice financier à l’État.
Une dimension transfrontalière explosive
La situation prend une tournure internationale dans la vallée de la Roya, près de la frontière française. Les automobilistes français, qui empruntent quotidiennement la SS20, reçoivent des amendes des mois après leurs infractions, sans signalisation claire sur la présence des radars. Selon NosAlpes, cette opacité a déclenché des pétitions et des tensions entre élus des deux pays. La discrétion des autovelox – souvent indétectables grâce à leurs infrarouges – alimente la frustration des usagers transfrontaliers.
Le décret Salvini : une réponse partielle
Pour calmer la tempête, le « Decreto Salvini », prévoit de désactiver certains radars controversés, comme celui de Porra, qui sanctionne des excès de vitesse sur un tronçon rectiligne limité à 50 km/h. La Voce di Imperia précise que cette mesure vise à limiter les abus, mais elle ne règle pas le problème de fond : l’homologation reste un sujet flou. Pendant ce temps, des figures locales comme Ivan Bracco, ancien vice-commissaire de police et candidat à la mairie d’Imperia, déposent des plaintes contre une dizaine de radars non homologués, selon NosAlpes. « Il faut mettre fin à ce désordre », déclare-t-il dans une interview relayée par le journal.
Une clarification devenue indispensable
L’affaire des radars dans la province d’Imperia expose un système miné par l’ambiguïté. D’un côté, la Cour de cassation impose une rigueur technique pour protéger les citoyens ; de l’autre, le ministère de l’Intérieur tente de préserver les intérêts des autorités en brouillant les lignes. Entre les deux, les automobilistes naviguent entre recours prometteurs et menaces de durcissement, tandis que les collectivités voient leurs budgets vaciller.
Il est urgent que le législateur italien mette fin à ce flou : les dispositifs doivent-ils être homologués, ou l’approbation suffit-elle ? Sans réponse claire, la sécurité routière – pourtant au cœur du projet initial – risque de se transformer en un chaos administratif où personne ne sort gagnant. En attendant, les conducteurs, italiens comme français, continueront de rouler avec prudence, guettant les poteaux suspects et surveillant leur courrier avec appréhension.

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