La mer pour tous? En Ligurie, c’est loin d’être gagné

Une plage privée en Ligurie. Photo : Chabe01 / CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons

Imaginez la Promenade des Anglais à Nice, ses vagues scintillantes, ses galets, son horizon infini. Maintenant, imaginez que 70 % de cette plage soit privatisée, clôturée, réservée à quelques privilégiés prêts à payer pour une chaise longue et un parasol. Les accès à la mer seraient bloqués par des établissements balnéaires, et vous, simple promeneur ou famille modeste, seriez contraints de marcher des kilomètres pour trouver un coin de plage libre. Cette situation, c’est déjà la réalité en Ligurie, où la privatisation des plages atteint des niveaux alarmants.

Nous aimons nous évader en Ligurie pour nos séjours estivaux. Loin du chaos de la Côte d’Azur, nous y cherchons la paix, le soleil et le chant des vagues. Mais derrière cette image idyllique se cache une réalité plus complexe, celle des plages privées et des enjeux sociaux qu’elles soulèvent. Récemment, Primo Canale, un journal ligure, a publié un article sur la décision controversée du conseil régional de suspendre jusqu’en 2027 l’obligation pour les communes d’avoir 40 % de plages libres. Une décision qui fait polémique et qui mérite d’être analysée sous un angle social et progressiste.

La suspension des 40 % de plages libres : une décision controversée

Comme le rapporte Primo Canale, en Ligurie, 21 communes sur 63 ne respectaient pas la norme imposant 40 % de plages libres ou librement aménagées. La région justifie cette suspension en arguant qu’elle simplifie les démarches administratives pour les communes afin de lancer les appels d’offres pour les nouvelles concessions. Cependant, cette décision est vivement critiquée par Stefano Salvetti, coordinateur national de Mare Libero et président régional d’Adiconsum. Il dénonce une atteinte à une loi fondamentale obtenue en 2008, qui garantissait un accès équitable aux plages pour tous les citoyens.

« Les plages libres sont un droit pour tous et appartiennent à tous les citoyens », rappelle Salvetti, cité par Primo Canale. Selon lui, cette suspension favorise les établissements balnéaires au détriment des plages publiques, privant ainsi les citoyens d’un accès libre à la mer. La région, quant à elle, affirme que cette mesure permettra de mieux organiser les nouvelles concessions, tout en laissant la possibilité d’étendre les plages libres à l’avenir.

La directive Bolkestein et l’immobilisme du gouvernement Meloni

Comme le souligne Primo Canale, la directive Bolkestein, adoptée par l’Union européenne en 2006 et transposée en Italie en 2010, impose la mise en concurrence des concessions publiques. En janvier 2023, le Conseil d’État italien a rappelé que toute prolongation des concessions sans appel d’offres est illégale. Pourtant, l’Italie fait face à une procédure d’infraction de l’UE pour non-respect de cette directive.

Dans un article récent, Il Manifesto révèle que la Commission européenne a de nouveau critiqué le gouvernement italien pour son manque de transparence et de compétitivité dans l’attribution des concessions balnéaires. Bruxelles a souligné que « les retards dans la mise en œuvre de procédures d’adjudication transparentes et compétitives pour ces concessions, ainsi que leur manque de rentabilité pour les autorités publiques, restent préoccupants ».

Le gouvernement Meloni, malgré ses promesses, n’a rien fait de concret pour résoudre ce problème. En février 2023, il a simplement reporté d’un an l’échéance fixée par la loi sur la concurrence de Draghi, repoussant les appels d’offres à décembre 2025. Une décision jugée illégitime par le Conseil d’État.

Les tensions au sein de la droite italienne

Il Manifesto met également en lumière les divisions au sein de la coalition de droite. La Lega, par exemple, a tenté d’introduire un amendement dans le décret cohésion pour inclure la « valeur d’entreprise » des établissements balnéaires dans les indemnisations aux concessionnaires sortants. Cet amendement, jugé incohérent par le Quirinal (présidence de la République), a finalement été retiré, mais il révèle les tensions internes et l’immobilisme du gouvernement sur cette question.

Massimiliano Romeo, chef de groupe de la Lega, a annoncé avoir reçu des « assurances » de la part de Palazzo Chigi (siège du gouvernement) pour aborder le sujet lors d’un prochain conseil des ministres. Cependant, comme le note Il Manifesto, « c’est ce que le gouvernement dit depuis plus d’un an ».

Un enjeu social et démocratique

La question des plages privées en Ligurie, largement couverte par Primo Canale et Il Manifesto, dépasse le simple cadre estival. Elle touche à des enjeux sociaux, environnementaux et démocratiques. Les plages libres sont un bien commun, un espace de liberté et de partage qui doit être préservé. La droite italienne, au pouvoir, semble privilégier les intérêts des concessionnaires au détriment des citoyens. Cette politique, en plus de violer les directives européennes, creuse les inégalités et limite l’accès à la mer pour les populations locales et les touristes.