Il est délicat d’évoquer cet événement, car malgré l’abondance de sources visuelles disponibles sur le web, des informations détaillées font cruellement défaut. Et pourtant, le sujet intrigue: la visite à Beaulieu du dernier roi d’Italie, Humbert II de Savoie, en 1978.
Surnommé le « Roi de Mai » pour son règne éclair du 9 mai au 18 juin 1946, Humbert II (Racconigi 1906- Genève 1983) quitta l’Italie pour l’exil, d’abord au Portugal, puis en Suisse, après le référendum du 2 juin 1946 ayant consacré la République. Un scrutin dont les résultats, selon certaines sources, auraient été entachés de fraudes orchestrées par des groupes partisans. Un point d’ombre sur lequel nous ne nous attarderons pas ici.
Malgré la proclamation de la République en 1946, l’attachement à la monarchie et à la famille royale demeurait palpable. Les archives du référendum en témoignent : l’écart entre les deux choix était ténu, avec 12 718 641 voix pour la République contre 10 718 502 pour la Monarchie, soit 54,27 % contre 45,73 %. Dans certains territoires, notamment proches de Nice, comme La Brigue, la Monarchie l’emportait avec 56,22 % contre 43,78 %. Même constat dans la province de Cuneo, où elle écrasa la République, avec 56,15 % contre 43,85 %. Et ce ne sont là que quelques exemples.
Après ce détour nécessaire pour éclairer le contexte, revenons-en au cœur de notre sujet. Le roi, une fois les résultats du référendum connus, quitta l’Italie le 13 juin pour le Portugal. Mais pourquoi ce choix ?
Humbert II, afin d’éviter la guerre civile dans son pays, décida de s’exiler au Portugal, alors sous dictature. Le choix de cette destination était autant imposé que symbolique : les pays voisins de l’Italie lui fermerent leurs portes, et l’Espagne franquiste n’était pas une option. Franco, régent autoproclamé de la monarchie espagnole, devait une partie de son ascension au soutien de l’Italie fasciste — un passé que le roi préféra éviter. Le choix du Portugal n’était pas seulement pragmatique, il était aussi chargé d’histoire : son trisaïeul, Charles-Albert, y avait déjà trouvé refuge avant d’y mourir en 1849.
Les visites du roi en France
Les membres et les descendants de la Maison de Savoie ne sont pas électeurs et ne peuvent remplir ni offices publics ni charges électives. L’entrée et le séjour sur le territoire national sont interdits aux anciens Rois de la Maison de Savoie, à leurs épouses et à leurs descendants mâles.
Les biens, existant sur le territoire national, des anciens Rois de la Maison de Savoie, de leurs épouses et de leurs descendants mâles sont transférés à l’État. Les transferts et les constitutions de droits réels sur ces biens qui sont advenus après le 2 juin 1946 sont nuls.
XIII1 Disposition de la Constitution de la République Italienne
Chaque année, des groupes d’Italiens se rendaient dans le sud de la France pour rendre visite au roi, qui, durant ces quelques jours, se trouvait à proximité de l’Italie, retrouvant ainsi un lien éphémère avec sa patrie. Un passage rapide, mais suffisant pour que le roi en exil puisse rencontrer ses compatriotes. C’est lors de l’une de ces visites que deux figures majeures de l’Unione Monarchica Italiana, dont Antonio Tajani, ancien président du Parlement européen et actuel vice-premier ministre de l’Italie, chargé des Affaires étrangères, mus par un idéal de rébellion, imaginèrent un plan audacieux : convaincre le souverain de les suivre en voiture pour franchir la frontière et retourner en Italie. Leur but ? Défier la République italienne en la confrontant à un fait accompli, une violation flagrante des lois sur l’exil, jugées cruelles et inhumaines. Mais comme le rapporte Antonio Parisi dans La Saga di Casa Savoia, ni l’un ni l’autre n’eurent la volonté d’aller jusqu’au bout de ce projet risqué. Le 4 juin 1978, le roi se rendit à Beaulieu, pour une cérémonie à laquelle, selon les maigres sources accessibles (dont l’ouvrage de Antonio Parisi cité plus haut) dix mille Italiens étaient présents.
Les images de l’événement montrent une foule dense, entourant la villa et brandissant les drapeaux du Royaume d’Italie pour saluer l’ex-roi. Toutefois, il serait essentiel de connaître les chiffres réels, car la présence d’un ancien chef d’État et d’une telle affluence aurait, en principe, dû mobiliser les forces de l’ordre, telles que la police ou la gendarmerie. Et dans les archives départementales comme nationales, il n’y a aucune trace de son passage.
« Quoi qu’il puisse arriver à notre pays, je serai toujours le plus fidèle de ses serviteurs, le plus fidèle de ses fils. Vive l’Italie! »
Le roi Humbert II de Savoie lors de sa rencontre avec les Italiens à Beaulieu
Pendant cette rencontre, le roi Humbert II s’adressa à la foule dans un moment particulièrement émouvant. En réalité, ce fut le dernier grand entretien entre le souverain en exil et les italiens. Il s’agissait là, pour lui, d’un adieu symbolique à sa patrie. Dans un geste solennel, il leur déclara : « Je serai toujours le plus fidèle de ses fils. Vive l’Italie ! ». Ces mots, prononcés avec une profonde émotion, marquaient la fin d’une époque et l’ultime lien entre le roi déchu et son pays bien-aimé.
Si l’on en croit les chroniques relatant sa visite, aucun projecteur n’éclairait cet événement, et pour cause : la presse républicaine s’était volontairement abstenue de couvrir l’évènement. Refusant d’y participer, elle évitait ainsi de diffuser des images susceptibles de rappeler la présence d’un ancien monarque, symbole d’un passé que la République s’efforçait d’enterrer. Ce silence médiatique, une forme de censure tacite, a renforcé l’anonymat autour de cette visite, la laissant dans l’ombre de l’histoire officielle.
1. L’article unique de la loi constitutionnelle n° 1 du 23 octobre 2002, entrée en vigueur le 10 novembre 2002, établit que: "Les alinéas premier et deux de la XIIIe disposition transitoire et finale de la Constitution cessent leurs effets à partir de la date d’entrée en vigueur de la présente loi constitutionnelle".
Sources:
La saga di Casa Savoia, de Antonio Parisi, éditeur: Diarkos, 2024

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