Une identité pour la ville: le Consiglio d’Ornato

Arcades, façades, monuments : ces éléments architecturaux uniformisés contribuent à la beauté des places Garibaldi, Massena, du Boulevard Jean Jaurès, du Cours Saleya, du Port Lympia et de leurs alentours. Mais pourquoi certains quartiers de Nice présentent-ils cette uniformité architecturale ? Pourquoi certaines zones de la ville se développent-elles de manière orthogonale? 

L’urbanisme de Nice : influence et héritage des plans régulateurs turinois

Au XVIIIe siècle, Juvarra introduisit à Turin le terme de « plans régulateurs », qu’il appliquait à des projets d’aménagement spécifiques. Cependant, au XIXe siècle, ce concept évolua pour désigner non plus des projets ponctuels, mais l’aménagement global de la ville. Ainsi, après le plan napoléonien de 1809, les autorités sardes poursuivirent des études plus concrètes, menant aux plans régulateurs turinois de 1817 et 1831, marquant une transformation dans l’approche de l’urbanisme.

Comme toute capitale provinciale, Nice était soumise à l’autorité de Turin. Le 16 juillet 1773, un congrès d’architecture fut institué à Turin pour superviser et émettre des avis sur tous les projets d’embellissement et d’extension de la ville. Ce congrès portait le nom de « Consiglio degli Edili » (Conseil des Édiles). L’initiative de réorganiser l’urbanisme de Nice débuta en 1824, lorsqu’une circulaire ministérielle de Turin, appela toutes les villes à établir un ordre architectural, un plan régulateur conforme aux directives de l’État. Les effets de cette circulaire furent visibles dans plusieurs villes sabaudiennes, comme Annecy (1824-1837 : ouverture de la rue Royale) et Chambéry (1824-1830 : percée de la rue de Boigne), ainsi que dans des villes piémontaises telles qu’Alessandria (plan régulateur approuvé en 1834, révisé en 1852), Cuneo (plan élaboré entre 1824 et 1828, approuvé en 1835) et Imperia (création de la Piazza Dante à Oneille, en 1821).

C’est ainsi que le processus de renouvellement urbain de Nice débuta. En 1825, Gian Antonio Scoffier et Luigi Trabaud élaborèrent un nouveau plan d’urbanisme, qu’ils soumirent au roi Charles-Albert de Savoie, qui l’approuva en 1832. Juste à titre informatif, seulement vingt ans plus tard, en 1853, Napoléon III créa une « commission des embellissements » à Paris.

Le plan d’urbanisme pour la rive droite du Paillon jusqu’à la Croix-de-Marbre

Le plan d’urbanisme pour Nice était connu sous le nom de  Consiglio d’Ornato  (Conseil d’Embélissement). Cet organisme indépendant avait pour objectif de redonner à la ville une nouvelle façade, tout en respectant les directives de l’État et de la municipalité.

« Le Consiglio d’Ornato devra veiller à la conservation et à l’amélioration des rues, places, promenades et monuments publics, approuver les projets des nouvelles constructions à élever ou des bâtiments à reconstruire ou à mettre à l’alignement, tant à l’intérieur de la ville que dans ses faubourgs ». (Article 8 du règlement)

 

Les membres et les missions du Consiglio d’Ornato dans la transformation urbaine de Nice

Le Consiglio d’Ornato était composé de neuf membres : le maire de la ville, le juge du canton, l’ingénieur de la province, le premier membre de la commission de police urbaine, ainsi que deux conseillers pour les première et seconde classes de la ville (les nobles bourgeois et les artisans), et deux personnes qualifiées dans les Beaux-Arts, en plus de l’architecte de la ville. Le Conseil était tenu de se réunir au moins deux fois par mois au palais communal. Les décisions étaient prises à la majorité des voix et consignées intégralement dans un registre tenu par le secrétaire, avec la signature de tous les membres présents.

Sa mission principale consistait à aligner les bâtiments, élargir et rectifier les rues, régulariser le nivellement du sol, supprimer les ruelles et construire des égouts. Cependant, le pouvoir du Consiglio d’Ornato était limité : il n’intervenait que sur les façades des bâtiments, sans empiéter sur leur intérieur. De plus, n’étant pas une juridiction, il ne pouvait pas résoudre les conflits découlant de ses décisions, lesquels étaient renvoyés à la Regia Delegazione. En effet, le roi Charles-Albert, se réservait le droit de trancher ces litiges liés à l’urbanisme. Pour ce faire, il créa cette Délégation Royale, un organe composé, entre autres, du président du Sénat, de l’avocat fiscal général et de l’intendant général, qui représentait le roi sur place.

La métamorphose du Vieux-Nice : entre projets ambitieux et réalisations partielles

Le principal projet du Consiglio d’Ornato porte sur la rive gauche du Paillon, en particulier le Vieux-Nice. Le plan régulateur envisage l’endiguement du Paillon entre le Pont-Neuf et son embouchure pour assainir le quartier du Pré-aux-Oies (actuellement rue Saint-François-de-Paule). Il prévoit également l’élargissement de la place Saint-François par des démolitions importantes, avec la construction de portiques servant de marchés et de logements au-dessus.

La façade de l’église du Saint Sépulcre dans la piazza Vittorio (place Garibaldi)

Le plan Scoffier-Trabaud incluait également la rectification de plusieurs rues, la création d’une grande rue centrale jusqu’au Cours, l’ouverture d’une rue plus large devant l’église du Jésus, la création d’un escalier d’accès au Château et la transformation des puits insalubres en fontaines. Face aux contestations, le Consiglio abandonna une partie du plan initial et se concentra sur des travaux d’utilité publique. Finalement, seule la rue centrale menant à la place Rossetti sera réalisée.

Ce n’est qu’après 1860, après la cession du Comté à la France, que les grands travaux d’aménagement de la vieille ville débuteront : destruction des voûtes (montée Rossetti), agrandissement des places Rossetti et du Gouvernement (actuelle place Pierre-Gautier) et création de l’escalier Lesage menant au Château.

Aménagement autour de la colline du Château

La transformation du bord de mer

Sur le bord de mer, le plan régulateur avait prévu la création de la Strada di Circonvallazione, aujourd’hui connue sous le nom de quai des États-Unis. Cette route périphérique, d’une largeur de 8 mètres, était conçue avec deux trottoirs spacieux de 2 mètres de large chacun pour faciliter la circulation des piétons. Un parapet solide était également prévu sur le couronnement du mur, donnant sur la mer, offrant ainsi une protection tout en permettant une vue dégagée sur la baie.

Le plan pour le Porto di Limpia

En plus de cette infrastructure, le projet laissait un grand espace libre entre la bordure nord de la route et les anciennes terrasses. C’est dans cet espace, en 1834, que le Consiglio avait envisagé la construction de nouveaux magasins, destinés à dynamiser l’activité commerciale du secteur. La construction de l’église Notre-Dame du Port, située sur la route du bord de mer, fut décidée par lettres patentes du roi de Sardaigne et duc de Savoie Charles-Félix, le 15 février 1830. Les travaux s’étendirent de 1840 à 1853, suivant les plans de l’architecte niçois Giuseppe Vernier, également concepteur de l’ensemble de la place Île-de-Beauté, au fond du port.

Les nouveaux bâtiments, intégrés à l’extension du front de mer, allaient progressivement transformer la zone en une promenade animée. La construction de ces nouvelles terrasses débuta entre 1838 et 1848, apportant un renouveau à cette partie du littoral et façonnant ainsi le paysage côtier tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Réaménagement de la rive droite du Paillon

La véritable ambition du Consiglio d’Ornato se concentrait sur la rive droite du Paillon, une zone largement sous-développée, notamment la plaine du  Camp Lonc et les faubourgs de Saint-Jean-Baptiste et de la Croix-de-Marbre. Ce territoire, traversé par des vallons, servait à l’agriculture et était parsemé de fossés pour l’irrigation. Le plan initial pour cette zone était sommaire, prévoyant quelques infrastructures basiques comme une route, un quai et une place.

Le projet de construction pour les façades de piazza Carlo Alberto (place Massena)

Face à la modestie de ce projet, le Consiglio demanda à l’architecte Scoffier de proposer un projet plus ambitieux et détaillé, ce qu’il fit en présentant un plan plus développé et grandiose, livré en 1841. En raison de contraintes financières, le projet initial est réduit, et le Conseil communal n’approuve en 1842 qu’une version simplifiée. Face à cela, l’Intendant général, représentant de l’État, charge Giuseppe Vernier, le nouvel architecte municipal, de concevoir un nouveau plan d’aménagement, qui est validé par les élus en 1843. Les travaux avancent sur la place Carlo Alberto (actuelle place Massena), inspirée du modèle de la piazza Vittorio Veneto à Turin, un aménagement grandiose qui intègre également la rue Gioffredo et l’église du Vœu avec sa place homonyme et la construction de deux ponts sur le Paillon afin de connecter la « nouvelle ville » aux places principales, dont la place Vittorio (actuelle place Garibaldi) et la place Saint-François, où se trouvait la mairie. Dans cette transformation urbaine, un réseau de rues perpendiculaires est conçu pour relier les deux grandes avenues, Gioffredo et Saint-Jean-Baptiste, tout en s’articulant autour de l’hôpital Saint-Roch. Ce projet vise à structurer l’espace de manière cohérente, créant ainsi une circulation fluide entre les différents quartiers, tout en respectant l’harmonie architecturale des lieux. 

Le projet pour la façade d’un immeuble

Les propriétés privées devaient être délimitées par des grilles en fer ou en fonte, dont le design était approuvé par le Consiglio. Pour le quartier de la Croix-de-Marbre, le plan de Vernier prévoyait l’endiguement du Paillon, la construction d’une route reliant le boulevard à la Route Royale (actuelle avenue de Suède), ainsi qu’une route longeant le bord de mer et un pont en bois sur le torrent du Magnan. La ville créa également un jardin public (en partie dans l’actuel jardin Albert Ier) et organisa l’alignement des maisons le long de la promenade des Anglais. Enfin, à partir de la place Massena, le Consiglio d’Ornato conçut une large avenue menant vers le nord (l’actuelle avenue Jean-Médecin), qui, selon les projets, serait composée d’arcades – sur le modèle turinois – jusqu’au boulevard Dubouchage.

Un véritable héritage Piémontais

Au fil des années, malgré le changement d’administration – donc le passage du Piémont à la France – cette influence n’a cessé de se maintenir et de se renforcer, marquant de manière durable l’évolution de l’urbanisme et continuant encore aujourd’hui à façonner le développement urbain, à travers des projets de rénovation, de réaménagement et de transformation qui s’inscrivent dans cette lignée.

Sources:

Le Consiglio d’Ornato, créateur d’une Nice moderne 1832-1860

Consiglio d’Ornato de Nice